Jugement Correctionnel, Cour d'Appel de Lyon, n° 19168000015 (16 septembre 2019)
La justice française confirme la désobéissance civile comme alternative au droit à la participation du public
Le 16 septembre 2019, le tribunal pénal français de Lyon a excusé la désobéissance civile comme moyen approprié de s'adresser au gouvernement lorsque celui-ci ne prend pas suffisamment de mesures dans un domaine vital tel que le changement climatique. Jugement Correctionnel, Cour d'Appel de Lyon, n° 19168000015 (16 septembre 2019). Cette décision a été prise après qu'un groupe de militants du changement climatique a envahi le conseil municipal de Lyon, retiré le portrait du président Macron et l'a conservé pour l'utiliser lors d'une manifestation publique lors du sommet du G7 de 2019.
Les militants accusés sont membres du «Association non-violente COP21», un groupe non violent qui plaide pour le respect des obligations de la France en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et des accords ultérieurs. Suite à leurs actes, les investigations policières ont permis d’identifier deux membres de «Association non-violente COP21» et les accusa de «vol en association».
Lors du procès, les accusés se sont présentés comme de simples militants d'un groupe non précisé avec pour seul objectif de « voler symboliquement le portrait du Président comme un message réclamant une action concrète pour le climat, et non la démission de qui que ce soit ».[1] Les prévenus ont fait venir Cécile Duflot, ancienne ministre et écologiste, pour témoigner. Lors de son témoignage, elle a affirmé que le manque de volonté politique est responsable de l'échec de la France à se conformer aux exigences de l'Accord de Paris de 2015 sur le changement climatique. Elle a en outre fait valoir qu'en mars 2019, de nombreuses associations ont déposé une plainte auprès du Conseil d'État, mais que cette plainte n'a pas abouti à un recours favorable. Malheureusement, seul le Président a le mandat d'ordonner des mesures obligatoires liées à une telle urgence. De même, un expert en écologie mondiale a souligné la nécessité de changements rapides dans la société si l'on veut maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2.0 C comme l’exige l’Accord de Paris.
La Cour a noté que les défendeurs ont soutenu que le recours aux « voies légales et aux avertissements des scientifiques » était insuffisant pour susciter un changement de politique. [2] Les prévenus ont demandé un acquittement reconnaissant la nécessité de leurs actes face à un danger grave et imminent. La Cour a donc estimé que la désobéissance civile non violente constitue une stratégie efficace pour éduquer les populations en vue d’un changement politique. En plus d’autres arguments, l’équipe de défense a présenté des arguments oraux et écrits selon lesquels « un état de nécessité légitime un acte criminel proportionné destiné à éviter un danger grave et imminent ».[3] L’accusation a rejeté cet argument au motif qu’il « n’existait aucun rapport entre l’acte commis et une cause légitimement défendue ». En réaction, la défense a fait valoir que « faute de stratégies alternatives, les accusés ont eu recours à des mesures mesurées pour affronter les autorités de l’État ».
En désaccord avec l'accusation, la Cour a estimé que le vol ne se matérialise qu'après avoir réuni certains ingrédients clés. L'un de ces ingrédients selon la Cour réside dans les conséquences économiques de l'acte. La Cour a noté qu'ici, le Conseil de Lyon avait intenté une action civile demandant des dommages et intérêts et une perte financière, ce qui impliquait que l'acte des défendeurs n'avait pas causé de perte économique. La Cour a ensuite estimé qu'en retirant uniquement du Conseil un objet de valeur symbolique comme forme alternative de communication, les accusés n'avaient pas commis de vol.
La Cour a également examiné la décision des accusés d'éviter toute forme de résistance violente, leur planification stratégique et la préparation de leurs opérations en tenant compte du calendrier et des effets possibles des reportages médiatiques. De plus, la Cour a reconnu la décision consciente de l'accusé de conserver le portrait du président et de l'utiliser lors d'un événement futur comme une décision soigneusement calculée et dénuée de violence.
Outre les aspects pénaux de l'affaire, la Cour a réaffirmé le rôle néfaste que le changement climatique joue sur l'avenir de l'humanité. Ces tribunaux ont spécifiquement cité les cataclysmes naturels, la modification de la flore et de la faune sans délai suffisant pour s'adapter naturellement, les conflits violents et l'incapacité des pays pauvres à gérer les effets négatifs du changement climatique. Concernant les engagements internationaux et nationaux du gouvernement français en matière de changement climatique, la Cour a retenu l'argument des défendeurs selon lequel la France n'avait pas respecté ces engagements. Par conséquent, la Cour a estimé que « dans un État démocratique, lorsque le gouvernement ne respecte pas ses obligations, notamment celles considérées comme minimes dans un secteur critique, les citoyens ne doivent pas être limités au suffrage universel exprimé uniquement lors des élections, mais doivent inventer des formes alternatives de participation ». dans le cadre d’un devoir de diligence essentiel.[4]
Suivant ce raisonnement, la Cour a en outre estimé que la désobéissance civile est une alternative à la participation publique dans la mesure où « les organisations et associations transmettent leurs messages au gouvernement et s’efforcent d’empêcher un afflux soudain de personnes aux intentions incertaines susceptibles de troubler l’ordre public ».[5] En appliquant ce principe au cas d'espèce, la Cour a acquitté l'accusé pour deux motifs. Premièrement, la Cour a estimé que « bien que les prévenus n’aient pas déclaré leur rassemblement aux autorités de l’État, leur brève invasion du bâtiment municipal destiné à l’administration citoyenne et sa prise en otage, sans violence ni intentions cachées, ils sont restés pacifiques et ont ainsi exprimé un sentiment expressément pacifique. Il est peu probable que la manifestation perturbe l’ordre public.[6] La Cour a également estimé que lorsque les citoyens sont profondément investis dans une cause particulière qui sert le bien général, restent dévoués à cette cause et évitent d'accompagner leur plaidoyer d'actes répréhensibles, un tel plaidoyer doit être interprété comme le substitut nécessaire à un dialogue impraticable entre les Le président et le peuple. En conclusion, en convenant avec les accusés que la désobéissance civile est une méthode alternative de participation du public, le tribunal adopte la « défense de nécessité » comme stratégie efficace de défense du changement climatique pour éviter les dangers imminents du changement climatique.
[1] Traduction non officielle. Original : « de décrocher symboliquement le portrait du président de la République pour réclamer de l'État non de démissions de personnes mais de l'action concrète en faveur du climat ». Jugement Correctionnel, page 5.
[2] Traduction non officielle. Original: ". . . l'usage des voies légales et les avertissements des scientifiques ne sont pas des bras de levier suffisants. . . .» Jugement Correctionnel, page 6.
[3] Traduction non officielle. Original : « un acte délictueux proportionné proportionné à l'éloignement d'un danger grave et imminent », page 6.
[4] Traduction non officielle. Original : « [F]ace au défaut de respect par l'État d'objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d'expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors de échéances électorales mais doit inventer d'autres formes de participation dans le cadre d'un devoir de vigilance critique[.] » Jugement Correctionnel, page 7.
[5] Traduction non officielle. Original : « des messages à l'adresse du gouvernement peuvent ainsi être diffusés au moyen de rassemblements dont les organisateurs et les autorités s'efforcent de limiter les troubles à l'ordre public qui pourraient provoquer une affluence soudaine de personnes aux intentions immédiates incertaines. » Jugement Correctionnel, page 7.
[6] Traduction non officielle. Original : « [même non déclaré préablement en préfecture, investissant pendant quelques minutes un bâtiment affecté à l'administration des citoyens et ses abords, sans bousculade ni dissimulation sur son mobile ou ses déplacements, revêt un caractère manifestement pacifique de nature à constituer un trouble à l'ordre public très modéré », page 7.